Le fond et la surface

Un homme pêche au bord d’un étang avec des gestes presque rituels. Comme tous les pêcheurs du monde, il prépare son matériel, jette ses lignes à l’eau, surveille les bouchons, livre au poisson une sorte de combat amoureux. Cet homme est un écrivain. Il cherche à comprendre et à exprimer par des mots le sens de la pêche : cette activité vieille comme l’homme et que les non-initiés considèrent comme dérisoire. Il sait, lui, qu’elle a couru comme un fil d’or tout au long de sa vie, qu’elle est un retour à l’enfance, une plongée de l’autre côté du miroir, dans un monde magique où tout peut arriver. Il se demande, même, s’il n’y a pas des points communs entre le pêcheur et le romancier qui, l’un comme l’autre, s’appliquent avec science, patience et humilité à faire monter à la surface les témoignages vivants de la réalité mystérieuse des profondeurs. En même temps que des poissons, il pêche des souvenirs. Il évoque son enfance, ses études, la guerre, ses amitiés, ses amours, ce mélange de joies et de peines, de triomphes et de naufrages qui composent la vie d’un homme. Et la pêche à la ligne n’apparaît plus comme une simple distraction ni comme une tentative d’évasion, mais bien comme l’une des clefs de ce caractère et de cette vie. Peut-être existe-t-il un homo piscator, un type d’homme solitaire, cérébral, sensible et joueur, dont la vie apparente n’est que le reflet de la nature profonde… Etienne Lalou retrouve ici la source d’inspiration qui avait fait du Goût du sel un classique de la littérature halieutique. Mais l’eau douce a remplacé la mer et le héros n’est plus un jeune homme qui se cherche mais un vieil homme qui se retourne sur son passé, sur l’aventure de la génération qui avait vingt ans en 1939, à la déclaration de la guerre.